Enjeux & décryptages

Les Contrepoints de la Santé - 17 décembre 2025

Contrepoints de la santé : “territorialiser” sans désosser l’État ? ARS, CPTS et réseau France Santé au cœur du débat

Lors de l’émission des Contrepoints de la Santé du jeudi 11 décembre 2025, Jean-François Moreul, médecin généraliste et président de la Fédération nationale des CPTS, et Clara de Bort, Directrice générale de l’ARS Centre-Val de Loire, ont confronté leurs lectures d’une question récurrente et redevenue brûlante : la politique de santé doit-elle se décider au niveau des territoires ? Entre un PLFSS perçu comme “texte de compromis” sans réforme de fond, les critiques politiques visant les ARS, le lancement accéléré du réseau/label “France Santé” et une attente citoyenne très forte sur l’accès aux soins, le débat dessine surtout un enjeu d’articulation : qui fait quoi, à quel niveau, avec quels moyens. Et une question clé : comment rendre le système lisible sans ajouter une couche au millefeuille. Synthèse.

 

 

 

Un PLFSS voté… mais sans cap de transformation

À l’occasion des Contrepoints de la Santé du 11 décembre, tandis que le PLFSS pour 2026 vient d’être adopté en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale (avant d’être adopté définitivement le 16 décembre), les intervenants saluent l’existence d’un budget fruit de compromis. Mais pour Clara de Bort, c’est d’abord un texte de stabilité financière, pas une “ligne politique” capable de transformer le système. De fait, le déficit reste jugé trop élevé. La soutenabilité, sujet central, est renvoyée à plus tard — possiblement au cycle présidentiel à venir. Pas de réforme de fond dans la conjoncture politique actuelle, donc, et une difficulté structurelle des responsables politiques à porter des mesures impopulaires.

 

La “territorialisation” progresse, mais l’éléphant dans la pièce reste le modèle conventionnel national

Clara de Bort pointe une tension rarement explicitée : la santé française repose sur des conventions nationales (et donc un cadre unique), alors même que la pression politique pousse vers des réponses territoriales. Autrement dit, on réclame du “sur-mesure local” dans un système conçu pour l’égalité de règles au niveau national — ce qui alimente frustrations et incompréhensions.

 

Les ARS : moins un problème de “régulateur” que de “régulation”

La DG de l’ARS Centre Val-de-Loire défend une idée simple : beaucoup de critiques visent les ARS lorsqu’elles disent “non” (autorisations, implantations…), parce que la régulation implique de refuser au nom de critères de décision. Faut-il réguler (et si oui, comment) l’offre (IRM, établissements, implantations) ou laisser davantage la “main invisible” agir — avec le risque, rappelé, d’une concentration de l’offre dans les zones attractives faute de ressources humaines suffisantes.

 

Une contestation politique des ARS… et une inquiétude opérationnelle

Les propos du Premier ministre (mise en cause du rôle/efficacité des ARS, volonté de rapprocher la décision des collectivités) a plané sur les échanges. Jean-François Moreul évite la bataille politicienne mais anticipe un effet très concret : si l’architecture change, il faudra alors faire preuve d’adaptabilité dans le “changement d’interlocuteurs” et sécuriser la continuité des projets. Mais sur le terrain, il constate que l’expression “c’est à cause de l’ARS” est devenu un réflexe linguistique dès qu’un problème surgit — un symptôme de défiance plus large envers les institutions.

 

Le FIR, “merveille” à défendre… et objet de convoitises

Le Fonds d’intervention régional (FIR) est décrit comme un outil clé de la territorialisation par Clara de Bort : une poche de crédits plus souple, mobilisable localement, permettant d’arbitrer hors des seuls tarifs. Elle insiste : le FIR suscite de nombreuses convoitises en dehors du système de santé, signe qu’il représente un levier réel. Dans un contexte budgétaire tendu, sa défense devient aussi une défense du modèle social.

 

Outre-mer : l’exemple qui révèle les limites des règles nationales “métropolitaines”

Les échanges rappellent que certains dispositifs — pensés pour la métropole — nécessitent des adaptations ultramarines. L’exemple rapporté par Clara de Bort (indemnités kilométriques inadaptées aux réalités de terrain) illustre un point politique majeur : une même règle nationale peut devenir absurde si elle ne prévoit pas d’emblée un volet “spécificités territoriales”. Les intervenants plaident pour une prise en compte mieux structurée des réalités ultramarines dans les cadres conventionnels.

 

Réseau/label “France Santé” : un lancement rapide, d’abord par la com’, puis par la convention

L’un des nœuds du débat : l’annonce d’un réseau “France Santé” et d’une labellisation accélérée de structures (maisons de santé, centres de santé, etc.). Clara de Bort assume l’intérêt d’une visibilité accrue : le système souffre d’“invisibilisation” et un label peut construire un récit de confiance. Mais l’ordre des choses interroge : beaucoup ont le sentiment d’un habillage (logo, communication) avant la clarification du contenu via la négociation conventionnelle, qui sera décisive.

 

CPTS : “back-office” indispensable, mais encore insuffisamment évalué et compris

Jean-François Moreul martèle que les CPTS ne sont pas des “effecteurs” de soins. Elles organisent des parcours, la coordination, la prévention, la gestion de crise et l’accompagnement des professionnels. Selon lui, une CPTS devient vraiment efficace en trois ans : l’adhésion progresserait d’environ 30–35% au démarrage sur un territoire à 65%-70% à maturité. Le budget évoqué reste faible à l’échelle de l’ONDAM (environ 150 M€, “à peine 0,1%”).

Surtout, la fédération nationale des CPTS réclame une évaluation robuste : des indicateurs existent, mais ne permettraient pas encore une lecture fiable. Une étude avec un partenaire académique est annoncée.

 

France Santé vs CPTS : complémentarité à sécuriser pour éviter “une structure de plus”

Alors, la mise en place du réseau France Santé est-il une critique déguisée des CPTS, ou un moyen de “pousser” les acteurs à se coordonner ? Le Dr Moreul répond qu’au départ, les CPTS n’étaient même pas intégrées au dispositif, ce qui plaide davantage pour un problème de lisibilité que pour une attaque ciblée. Il défend néanmoins une place centrale des CPTS comme “meilleur observatoire” des besoins et de l’offre sur un territoire, à condition de clarifier la complémentarité avec les structures labellisées.

 

Démocratie sanitaire : beaucoup d’instances, peu de lisibilité et une crise de la représentation

Invité à s’exprimer en tant que contrepoint, Bertrand Sommier, Secrétaire général de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), décrit un “millefeuille” territorial (jusqu’à 16–20 périmètres différents sur certains sujets) et regrette l’absence de stratégie nationale lisible. Clara de Bort répond que la santé est, par nature, complexe (toutes les spécialités n’ont pas la même géographie) mais reconnaît une limite : la démocratie sanitaire “multilatérale” (Conseils territoriaux de santé, CRSA…) se heurte à un désengagement d’élus qui ne veulent pas être “1 parmi 102” et à une difficulté croissante à recruter des représentants d’usagers. Résultat paradoxal : on discute “avec tout le monde”, mais on est accusé de ne pas parler “au territoire”.

 

Le vrai enjeu : responsabiliser sans casser la cohérence nationale

Gérard Vincent, ancien Directeur des hôpitaux (Ministère de la Santé) et ancien DG de la Fédération hospitalière de France (FHF), deuxième contrepoint, propose une piste de réforme : « Est-ce qu’il faudrait pas faire ce qu’on fait la plupart des autres pays européens, à savoir placer l’équivalent des ARS dans ces pays sous la coupe des régions ? ». Et ce, pour réduire “l’irresponsabilité” actuelle — les élus subissent le coût politique de décisions impopulaires (fermetures, restructurations) sans porter la responsabilité financière. Clara de Bort confirme le diagnostic d’irresponsabilité, tout en rappelant qu’un minimum de cadre national reste indispensable pour l’équité et la régulation.

 

 

 

Séquence opinion avec Viavoice

Une demande massive d’accès aux soins… et de meilleure coordination de la part des Français

À travers les résultats d’un sondage exclusif, Adrien Broche (Viavoice) apporte une photographie politique clé : 1 Français sur 2 se dit insatisfait de son accès aux soins et plus de 6 sur 10 déclarent avoir renoncé récemment à consulter (généraliste ou spécialiste). Les causes perçues : délais et manque de médecins. Mais la solution attendue n’est pas uniquement “plus d’État” ou “plus de territoires” : une part importante des répondants réclame surtout une meilleure coordination entre niveaux et acteurs. Autrement dit, la territorialisation n’est crédible que si elle est opérationnelle.

Consulter les éléments d’opinion Viavoice, pour Les Contrepoints de la Santé du 11 décembre 2025 

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