Synthèse par Alexandre Terrini – Les Contrepoints de la santé du 8 février, à Paris, avaient pour thème « Innovations techniques et organisationnelles, comment vraiment transformer le système de santé ? ». Tous deux convaincus que ce dernier doit être transformé en profondeur pour faire face aux nouvelles révolutions épidémiologiques, Nicolas Revel, Directeur général de l’Assurance maladie, et Frédéric Pierru, chercheur en sciences politiques et sociales au CNRS, divergent en revanche quelque peu sur la méthode. Le premier croit au volontarisme des parties quand le second milite pour une impulsion plus « cadrante » de l’État.
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Unanimité sur le diagnostic
Nicolas Revel est dans son rôle quand il assure qu’une « forme de consensus se créée sur ce que sont les défis et les handicaps, mais aussi sur ce quoi nous devons réussir l’évolution très forte du système de santé ». Le Directeur général de l’Assurance maladie sait non seulement qu’il y a urgence et que c’est collectivement que la bataille se gagnera ou se perdra : « Nous n’y parviendrons pas sans les acteurs eux-mêmes. Il faut les embarquer et les mobiliser dans une nouvelle étape que nous devons absolument réussir à construire dans les deux ou trois prochaines années pour apporter des réponses concrètes à des éléments qui deviennent des éléments de tension insupportables. » En l’occurrence, la question de l’accès aux soins pour les patients et de la régulation économique pour les professionnels qui font fait vivre le système.
En fidèle disciple de Pierre Bourdieu, Philippe Pierru partage le constat mais pas forcément la manière de faire : à ses yeux, c’est en changeant les structures que l’on change les comportements. En somme, ce n’est la bonne volonté des hommes qui modifiera les structures. D’autant, rappelle-t-il qu’il « n’y a jamais de révolution en matière de santé. Les systèmes de santé changent très lentement, progressivement, de manière incrémentale avec parfois des chocs exogènes (croissance économique et tensions budgétaires…) et des révolutions endogènes (transformation de la démographie de professionnels de santé…) ». De même, « la technique de change pas un système de santé. Au mieux, elle le coconstruit. Le système de santé, tel qu’il est constitué par ses rapports de force, va adapter ces innovations technologiques à l’état des relations de ses acteurs. » C’est pourquoi, « les pouvoirs publics doivent avoir une capacité à impulser et à identifier les grandes évolutions ».
Des expérimentations venues d’en bas
Nicolas Revel, lui, demeure convaincu que le salut peut venir de la base et faire florès. À cet égard l’article 51 de la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) doit permettre des modifications organisationnelles en facilitant et en promouvant les expérimentations initiées par les professionnels de santé. Avec, à la clef, un changement radical de paradigme : « Jusque-là, à l’image des Paerpa (dispositif pour Personnes âgées en risque de perte d’autonomie), les expérimentations avaient pour trait commun d’avoir été conçues d’en haut avec une disposition législative ad hoc. Là, on inverse complètement la logique. On permet une dérogation a priori au Code de la Sécurité sociale ou de la Santé publique. On rend possibles des expérimentations que l’on ne connaît pas aujourd’hui et qui vont venir parce que les acteurs les feront remonter. » Si celles-ci s’avèrent convaincantes, les tutelles se prononceront dans un délai de trois ou quatre mois et se les approprieront en les soutenant. « Cela permettra de faire émerger de nouvelles organisations des soins avec un modèle économique ad hoc », justifie le Directeur de l’Assurance maladie. Si l’expérimentation se cantonne au niveau local, ce sera à l’ARS de statuer. Si elle couvre plusieurs territoires, alors la demande de soutien devra être adressée à un guichet unique dédié de la Caisse nationale d’Assurance maladie.
Rémunérer la coordination plutôt que les actes
Outre l’accompagnement des bonnes idées venues d’en bas, l’autre chantier que commande la refonte du système est celui de la rémunération et de l’affectation des fonds publics. Là, il s’agit d’en finir pour de bon avec le chacun dans son pré carré, martèle Nicolas Revel : « On a besoin de sortir d’un système très isolé en ville et très cloisonné entre la ville et l’hôpital. Ce qui entretient cette atomisation, c’est que tous les modes de rémunération poussent à cette rigidité d’organisation et maintiennent les acteurs dans une course à l’activité et au volume. Or, on ne bougera que si l’on fait émerger des modes de rémunération qui valorisent le travail collectif ainsi que la prise en charge plus collective et populationnelle de certaines catégories de patients qui se prêtent à un suivi renforcé pluriprofessionnel. » Tout est dit.
La priorité des priorités est donc de renforcer la coordination, laquelle est censée être profitable tant à l’accès aux soins des patients qu’à l’amélioration des conditions d’exercice des professionnels. L’enjeu n’est pas neutre mais bel et bien sonnant et trébuchant : en ce qui concerne les soins primaires, « il va falloir assumer de prioriser des financements sur ce qui va faire directement levier sur ces aspects », prévient Nicolas Revel. En clair, il ne s’agira pas de financer la revalorisation des actes mais notamment des temps de coordination. Le tout en investissant d’autres champs et structures de coordination. Et d’abord, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), « ce concept très ouvert qui doit permette à des professionnels de santé, sur un territoire, de trouver un cadre d’organisation et de coordination pour mieux gérer les parcours de patients lourds et les soins non programmés ».
Frédéric Pierru, lui, n’est pas convaincu que les louables déclarations d’intention suffisent : « Il peut certes y avoir une rencontre entre la volonté des pouvoirs publics et la volonté des acteurs de terrain mais souvent au prix d’ambiguïtés qui donnent parfois lieu à des désillusions. Les expérimentations vont se heurter à des pesanteurs historiques. » Et de citer les Maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) au sein desquelles les professionnels ne se coordonnent pas ni ne coopèrent ou encore, ne s’installent pas dans les zones sous-denses. Et pour ce qui est du reste à charge zéro, si le Gouvernement le veut vraiment « il devra accepter un conflit dur avec les professionnels » qui lui résisteront. Comme si « l’enthousiasme politique d’aujourd’hui préparait les désillusions de demain ».
Un virage ambulatoire mal pris
Pour éviter pareil écueil, il importe de ne pas rater les défis qui ont été identifiés. Et d’abord, le désormais fameux virage ambulatoire. Pour Frédéric Pierru, la charrue a quelque peu été mise avant les bœufs : « On veut faire le virage ambulatoire alors que l’amont n’est pas du tout organisé, en particulier parce que l’on n’a pas réussi à résoudre le problème des déserts médicaux. Les raisons de la crise de l’hôpital se situent en dehors de ce dernier. Elle vient de l’amont et de la relative désorganisation de la médecine de ville. »
Nicolas Revel ne dit pas autre chose : « Ce constat est juste. Le virage ambulatoire, s’il a eu lieu, c’est à l’hôpital avec le développement de la chirurgie ambulatoire. On ne le mènera véritablement que si la ville s’organise. La priorité absolue est que les acteurs sortent de leur atomisation et de leur exercice isolé et que l’on investisse financièrement sur les leviers nécessaires. Encore une fois, les financements doivent aller prioritairement aux structures qui permettent la coordination. »
Promouvoir les outils adéquats
La mutation organisationnelle implique aussi l’émergence d’outils adéquats. Ainsi, la télémédecine, laquelle a été directement intégrée dans les négociations conventionnelles avec les médecins. Avec un leitmotiv : en accompagner le déploiement en évitant les dérives qui affecteraient l’organisation et la qualité des soins. C’est pourquoi l’accès au médecin spécialiste de second recours, lequel devra, auparavant, avoir vu physiquement le patient une première fois, se fera dans le respect du parcours, histoire que le médecin traitant ne soit pas court-circuité. Les actes de téléconsultation et de télé-expertise, eux, constituent une contribution à l’accès aux soins en créant de la ressource médicale supplémentaire. Le fait de les rémunérer doit permettre d’en faire davantage.
Quant au serpent de mer qu’est le DMP, sa généralisation sur l’ensemble du territoire est prévue en octobre 2018, promet Nicolas Revel. Le Directeur de l’Assurance maladie sait que pour cela, trois préalables devront être satisfaits. Tout d’abord, qu’il soit possible d’ouvrir massivement de nouveaux DMP en ligne lorsque l’on se rend dans une pharmacie ou une Caisse. Pour cela, les codes d’identification vont être transmis aux assurés. Ensuite, que l’on trouve de l’information dans le DMP. À cette fin, l’Assurance maladie les abondera avec les données qu’elles possèdent déjà. Enfin, que le DMP soit une réalité pour les professionnels, certes, mais surtout pour les patients et donc qu’ils aient la possibilité de le consulter aisément. C’est précisément la finalité de l’application mobile actuellement en cours de développement sous la houlette de la Cnam et qui, elle aussi, sera opérationnelle à la rentrée prochaine.
Les Contrepoints de la Santé, petits déjeuners-débats organisés et animés par Philippe Leduc, Pascal Maurel (Ortus) et Renaud Degas (La Veille des acteurs de la Santé – Presse Infos+) à Paris, au Restaurant Opéra du Palais Garnier.
Les Contrepoints de la Santé du 8 février 2018 ont été organisés avec le soutien du Groupe Pasteur Mutualité, du Groupe Point Vision, de MSD, de Carte blanche et de BVA.