Le 22 mai, le Prix Podcast Santé Francophone 2025, catégorie Hôpital, a été remis au podcast « L’hôpital en mode Opale », produit et diffusé par l’Hôpital Simone Veil – Groupement Hospitalier Eaubonne-Montmorency en collaboration avec le Studio OHz. Une récompense qui vient mettre la lumière sur la démarche de management mis en œuvre au sein de cet hôpital depuis 2017. Nathalie Sanchez, Directrice de l’établissement, et le Dr Karim Lachgar, Président de la Commission Médicale (CME) ont fait le pari d’un projet managérial innovant, fondé sur la confiance, l’autonomie, la responsabilité et le pouvoir d’agir. Huit ans plus tard, cette démarche irrigue l’ensemble de l’établissement, avec des résultats mesurables, un climat social renforcé et une attractivité croissante. Entretien avec Nathalie Sanchez.
Propos recueillis par Renaud Degas, avec Maellie Vezien
Après huit ans de mise en œuvre du projet managérial inspiré par les « organisations opales » théorisées par Frédéric Laloux dans Reinventing Organizations, comment se porte votre hôpital aujourd’hui face aux grands enjeux (activité, ressources humaines, finances…) ?
Nathalie Sanchez : Sur les indicateurs classiques, notre hôpital affiche une dynamique positive, avec une croissance d’activité d’environ 6 % par an. En matière de ressources humaines, le sujet est multi-factoriel, mais nous pouvons nous appuyer sur des indicateurs solides : l’établissement est attractif, aucun poste de cadre n’est vacant, et notre baromètre social annuel témoigne d’un climat interne favorable, avec plus de 82 % de satisfaction et 86 % des professionnels affirmant pouvoir exprimer leurs idées et leurs opinions.
Nous poursuivons cette évaluation avec le lancement ce mois de juin d’un baromètre de la symétrie des intentions, qui permettra de mesurer plusieurs dimensions telles que la confiance, l’autonomie ou encore la considération perçues par les patients, les professionnels, les managers et la gouvernance. L’objectif de cet outil est d’identifier les écarts entre l’intention des acteurs et la perception par les bénéficiaires afin de mettre en lumière les écarts ou les convergences.
Le turnover dans l’établissement reste maîtrisé, bien qu’il varie selon les services. Plutôt que de généraliser, nous analysons les données service par service pour éviter les raccourcis. Certains départs relèvent de facteurs générationnels et non du projet en lui-même. Notre objectif est d’identifier les situations où le turnover est élevé pour comprendre les causes et mettre en place un accompagnement ciblé.
Pourquoi avoir lancé ce projet dès votre arrivée ? Quelle a été votre démarche de fond et quels en ont été les moteurs ?
N.S. : Dans tous les hôpitaux, il existe une tension entre la richesse humaine, avec des professionnels très engagés, et une organisation souvent verticale, en silos. Nous avons souhaité transformer cette culture en nous inspirant des principes des entreprises libérées, pour interroger les conditions de l’engagement. À l’hôpital, l’engagement est essentiel, et je suis convaincue qu’il repose sur l’autonomie, la responsabilité et le pouvoir d’agir des individus sur leur environnement. Il faut qu’ils puissent être acteurs, et non spectateurs.
En 2017, cette conviction a rencontré celle du Président de la Commission Médicale d’Etablissement, le Dr Karim Lachgar. Après la fusion, il voulait inscrire l’hôpital dans une dynamique territoriale forte. Ensemble, nous avons partagé l’intuition que nos équipes médicales pouvaient porter une offre de soins plus ambitieuse et spécialisée. La question centrale est alors devenue : comment créer les conditions pour que chacun puisse donner le meilleur de lui-même, au service des patients et des résidents ?
Ce projet ne répondait pas à une crise ; il était une volonté assumée et partagée de construire un projet collectif. Nous avons d’abord mobilisé l’équipe de direction autour d’une vision commune. Notre exigence de transparence a été forte : la bienveillance que nous prônons s’accompagne de responsabilité. Nous avons fixé un cadre et des objectifs clairs. Les démarches proposées reposent sur le volontariat et la participation est libre ; nous avons à cœur de maintenir une démarche éthique et non manipulatoire.
En parallèle, nous avons engagé un projet social. Il n’est pas cohérent d’attendre un engagement fort de la part des professionnels si leur quotidien est insoutenable. Ce projet devait concerner l’ensemble des professionnels : médecins, soignants, mais aussi tous les autres métiers de l’hôpital.
Concrètement, quelles ont été les principales actions mises en place pour soutenir cette transformation managériale ?
N.S. : Le cœur de cette transformation est un parcours de formation et d’accompagnement baptisé « Le Lab des Managers ». Il se déroule sur cinq jours répartis sur un an, avec une promotion annuelle de managers. Nous avons d’abord formé les chefs de service nouvellement nommés, puis les cadres de santé, et désormais les promotions sont mixtes.
Ce parcours aborde les fondamentaux du management et de la communication ainsi que des modules thématiques pour mieux comprendre l’environnement hospitalier : Ressources Humaines, Qualité, Stratégie et médico-économie ou encore environnement institutionnel, gouvernance hospitalière et politique territoriale. L’objectif de ce programme est de transmettre des outils et des méthodes aux managers nouvellement nommés tout en leur faisant prendre conscience de l’interdépendance entre les services et les acteurs. Une de ses forces est que les formateurs des modules thématiques sont en grande partie des directeurs et leurs équipes, ce qui renforce les liens et rend la direction plus accessible.
En complément de cette formation, nous avons aussi mis en place des espaces d’intelligence collective à destination de tous les managers de l’établissement, organisés tous les deux mois sur le temps du déjeuner. L’un de ces temps appelé « Le Café Gourmand » a l’objectif de favoriser la rencontre ainsi que le partage d’informations et la remontée des besoins, des problématiques ou encore des bonnes pratiques au sein de la communauté managériale. En plus de ce temps, nous organisons des « Midi Managers ». Lors de ces rencontres, la communauté managériale accueille un intervenant inspirant et explore des pistes d’actions concrètes pour enrichir ses pratiques en lien avec le thème du jour. Cet espace vise à accompagner les managers dans la promotion de l’autonomie, du pouvoir d’agir et de l’intelligence collective au sein de leurs équipes.
Enfin, nous nous sommes inspirés de la sociocratie pour créer un « Cercle de transformations » qui réunit chaque trimestre des représentants des différentes instances et communautés qui structurent notre vie hospitalière (Directoire, CME, Commission des Usagers, Commission des Soins Infirmiers – CSIRMT – , Conseil de Vie Etudiante, référents Qualité, etc). Il se réunit chaque trimestre et son objectif est de formuler des propositions nouvelles et concrètes qui sont ensuite présentées à la gouvernance traditionnelle de l’établissement. Les membres du Cercle sont désignés dans le cadre d’une « élection sans candidat » et les décisions sont prises « par consentement », c’est-à-dire un processus décisionnel qui ne vise pas le consensus mais l’expression des participants pour améliorer une proposition jusqu’à ce que celle-ci soit validée par le groupe qui n’a plus « d’objections raisonnées » à formuler sur l’idée proposée.
Le facteur temps, ou plus exactement de manque de temps, a-t-il été un frein dans la mise en œuvre de ce projet ?
N.S. : Oui, au départ, le temps a été un véritable frein, notamment pour le comité de direction, qui percevait le projet comme une charge supplémentaire. J’ai toujours défendu l’idée suivante : « Ce n’est pas un truc en plus, c’est une autre manière de faire ».
Aujourd’hui, cette question n’est plus un obstacle. Tous les dispositifs que nous proposons sont facultatifs, et pourtant, une quarantaine de managers, sur 150, choisissent d’y participer, y compris en période de tension. C’est très encourageant.
Par ailleurs, la prise de décision par consentement implique plus de concertation en amont, mais elle permet de gagner du temps en aval dans la mise en œuvre, en réduisant les résistances. C’est un système ouvert : chacun peut y puiser ce dont il a besoin. Les retours des managers sont très positifs.
Subissez-vous une pression sur les résultats, notamment en lien avec l’impact sur les patients ?
N.S. : Non, nous ne fonctionnons pas dans une logique de résultat imposé, car les effets sont multifactoriels. Notre hôpital fonctionne selon les principes des organisations « opales », ce qui implique une stratégie évolutive : « un projet d’établissement vivant », actualisé chaque année au regard des évolutions du contexte. Nous expérimentons selon les réalités de chaque service, en nous adaptant.
Notre priorité est que les équipes aient envie de s’engager. Nous voulons aussi montrer, sans nier les difficultés de l’hôpital public, qu’il est possible d’innover et d’améliorer la qualité des relations, entre professionnels et avec les patients.
Ce type de démarche reste rare dans le monde hospitalier. Avez-vous été inspirée par d’autres initiatives ? Partagez-vous votre expérience avec d’autres établissements ?
N.S. : Beaucoup d’hôpitaux expérimentent, mais ces initiatives manquent souvent de visibilité, notamment sur leurs intentions initiales. C’est dommage, car nous gagnerions à les valoriser.
Une de mes sources d’inspiration a été l’entreprise néerlandaise Buurtzorg, un service de soins à domicile fondé sur le principe d’équipe autonome.
Aujourd’hui, nous souhaitons partager plus largement notre expérience, c’était l’objectif notamment du podcast et de notre communication plus active cette année sur ce projet. Nous intervenons également à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Le projet a été valorisé dans le cadre du challenge de la transformation, organisé par le « Cycle des Hautes Etudes de Service Public » (CHESP), ainsi que par le Prix ADH des valeurs hospitalières (1er Prix 2025) ou encore par le Prix Impact RH organisé par le Fonds FHF Recherche & Innovation et la MGEN (2ème prix 2025).
Chez nous, à l’Hôpital Simone Veil, ce projet managérial est maintenant au cœur de notre identité. Nous souhaitons qu’il soit encore plus incarné à tous les niveaux de l’organisation… et qu’il puisse inspirer plus largement dans d’autres établissements de santé et au-delà.