Transition démographique, désertification médicale, vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, tensions sur l’accès aux soins… Les défis du système de santé français sont nombreux et complexes. Le 27 mai 2025, les Contrepoints de la Santé, que nous co-produisons, ont réuni quatre invités pour débattre de l’interprofessionnalité comme levier pour relever ces défis : Stéphanie Rist (députée du Loiret), Pr Paul Frappé (président du Collège de Médecine générale), Sébastien Guérard (président de la Fédération Française des Masseurs-Kinésithérapeutes Rééducateurs et de l’Union Nationale des Professionnels de Santé) et Daniel Guillerm (président de la Fédération Nationale des Infirmiers).
Une dynamique législative pour faire évoluer les métiers
Stéphanie Rist, à l’origine des lois dites Rist 1 et Rist 2, défend l’adaptation des professions de santé aux besoins actuels. « Il est étonnant qu’il faille encore se demander si les métiers de santé doivent évoluer, alors que partout ailleurs, ils le font », a-t-elle lancé le 27 mai. Pour rappel, la loi Rist 1, issue des leçons du Covid, introduit de la souplesse dans l’organisation hospitalière et limite l’intérim médical, tandis que la loi Rist 2 permet l’accès direct à certains professionnels et élargi les compétences des infirmiers de pratique avancée (IPA). L’enjeu : améliorer l’attractivité des métiers et la qualité des soins, s’appuyant sur des modèles internationaux.
« Nos concitoyens veulent une réponse à leur demande en soin, ils s’en fichent un peu de savoir le professionnel qui va répondre à leur demande. » Stéphanie Rist
La loi infirmière : une réforme ambitieuse mais cadrée
Daniel Guillerm a salué la loi infirmière comme une avancée majeure pour les 600 000 infirmiers français, introduisant des notions clés comme la consultation, le diagnostic et la prescription infirmiers. « Cette loi est d’abord une réforme pour le métier, pas une solution miracle aux déserts médicaux », a-t-il rappelé, insistant sur son rôle dans la reconnaissance professionnelle.
Toutefois, il a critiqué la « totemisation » des IPA (Infirmiers de Pratique Avancée), dont le modèle économique reste fragile, avec moins de 200 exerçant en libéral pur, sur quelques milliers formés.
Repenser une organisation jugée obsolète
Sébastien Guérard dénonce lui une construction juridique des métiers de santé « ancienne » fondée sur le monopole médical datant de plus de 150 ans. « Nos métiers et les besoins de la population ont radicalement changé », a-t-il affirmé, plaidant pour une refonte des référentiels et une clarification des compétences partagées.
Il propose des états généraux de l’interprofessionnalité pour avancer collectivement, tout en réaffirmant le rôle central du médecin traitant, mais dans un cadre modernisé.
« On ne questionne pas du tout le statut du médecin traitant. On questionne l’organisation des soins, aujourd’hui, en faisant de ce médecin traitant la porte d’entrée unique dans le système de santé. » Sébastien Guérard
Le médecin traitant : un pilier sous tension
Le Pr Paul Frappé a défendu le rôle du médecin traitant comme étant « une solution, pas un problème », soulignant son rôle de régulateur et de porte d’entrée universelle. « Il rationalise la prise en charge et offre une réponse à tous les motifs de consultation », a-t-il expliqué.
Cependant, il déplore l’absence d’un projet clair pour la médecine générale : « L’enfer est pavé de bonnes intentions mais sans lisibilité, les évolutions freinent. » Il appelle à une coordination renforcée pour simplifier les parcours des patients.
Coordination et coopération : un défi persistant
Tous s’accordent sur la nécessité de l’interprofessionnalité mais des obstacles subsistent. Daniel Guillerm a mis en garde contre une focalisation excessive sur les contours des métiers : « Si on reste sur “moi, je fais ça, l’autre ne doit pas le faire“, on ne s’en sortira pas. »
En outre, Sébastien Guérard a exprimé sa déception quant à l’absence d’outils numériques efficaces, cinq ans après le Ségur de la Santé, pour faciliter les échanges entre professionnels, tandis que Stéphanie Rist a insisté sur l’importance de la coordination dans les structures comme les CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé).
« À partir du moment où il y a des soins coordonnés, le malade peut rentrer par n’importe quelle porte, ce n’est pas embêtant, puisque, si ça ne correspond pas à la compétence du professionnel que le malade va voir, il ira très vite chez le médecin traitant. » Stéphanie Rist
Un système face à un mur démographique
Le vieillissement de la population et la hausse des maladies chroniques imposent une réorganisation urgente. « On aura 5 millions de personnes de plus de 85 ans en 2060, avec des budgets non extensibles », a alerté Sébastien Guérard, plaidant pour une meilleure utilisation des compétences existantes. Stéphanie Rist a d’ailleurs décrit une refonte du financement de la protection sociale comme un « débat de société majeur » à venir, pour garantir la soutenabilité du système.
La prévention : un levier sous-exploité
Enfin, Daniel Guillerm a mis en exergue la prévention comme un gisement d’économies, citant le coût de la mauvaise observance thérapeutique (9,3 à 15 milliards d’euros par an). « Elle n’a d’effets qu’à moyen ou long terme, mais c’est là qu’il faut investir », a-t-il plaidé.
Le Pr Frappé rejoint cette vision, appelant à des parcours de soins simplifiés pour maximiser son impact.
« Il faut une lisibilité de l’évolution des portes d’entrée, de l’accès aux soins. » Paul Frappé
Chiffres clés : sondage ViaVoice – les attentes des Français
- 80 % constatent des inégalités d’accès aux soins.
- 53 % priorisent le recrutement de médecins.
- 26 % réclament plus de coordination interprofessionnelle, surtout dans les communes de moins de 20 000 habitants.
- 80 % soutiennent l’élargissement des compétences des infirmiers, pharmaciens et kinés.
- 48 % jugent la coordination actuelle satisfaisante, contre 45 % qui la trouvent insuffisante.
- 73 % ont une opinion mitigée sur son efficacité.
- 16 % seulement citent le manque d’outils numériques comme frein, privilégiant le manque de temps et le cloisonnement entre métiers.