Enjeux & décryptages

L’oeil de la rédaction - 22 avril 2025

« Ce serait une faute politique grave que les parlementaires n’adoptent pas la loi infirmière ou la vident de son contenu. »

Le texte de la PPL Infirmiers est à la veille de passer sous les fourches caudines du Sénat (saisi depuis le 11 mars, lecture en plénière à partir du 5 mai). Quels sont les enjeux et les obstacles ? Pourquoi y a-t-il urgence à adopter le texte ? Explications de Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), le principal syndicat d’infirmiers libéraux.

 

Propos recueillis par Renaud Degas

 

 

La version du texte votée par l’Assemblée nationale vous convient-elle ?

Daniel Guillerm : Le texte ne nous convient pas totalement, mais il retient l’essentiel de ce que nous souhaitions. Et surtout, il est adopté, ce qui n’était pas forcément gagné d’avance, même s’il y a un courant porteur dans le contexte actuel.

Pour être plus précis, les députés ont adopté, dans l’article 1, les mesures qui nous paraissent essentielles et qui en font un texte révolutionnaire, à savoir la consécration de deux termes : consultation et prescription. C’étaient jusqu’ici des termes qui faisaient l’objet d’une confiscation sémantique de la part des médecins. Le texte y met fin. C’est donc une reconnaissance de la totalité du champ de compétence des infirmiers. Et c’est cette reconnaissance que nous souhaitons voir préservée devant le Sénat.

 

Y a-t-il un risque de voir le texte vidé de sa substance devant le Sénat ?

D.G. : Oui, le risque est très fort, les médecins n’ayant pas renoncé à torpiller le texte. Et d’après ce que nous savons et dont nous avons la preuve, certains membres du Gouvernement sont à la manœuvre dans ce sens, malgré des prises de parole publiques favorables au texte.

Nous ne comprenons pas cette hostilité, le texte répondant aux besoins de la population et n’empiétant pas sur les compétences des médecins. Ce serait une faute politique grave que les parlementaires n’adoptent pas ce texte ou le vident de son contenu.

 

« Ce texte est inédit dans le sens où il définit pour la première fois la profession dans le cadre de la loi et non plus dans le champ réglementaire, ce qui nous donne une place et une légitimité plus fortes. »

 

Vous voulez dire que le texte ne vous transforme pas en sous-médecin ?

D.G. : Non, pas du tout. Et ce n’est vraiment pas notre intention. Sur le fond, il n’y a pas d’extension de notre champ d’exercice. Mais il est vrai que ce texte est inédit dans le sens où il définit pour la première fois la profession dans le cadre de la loi et non plus dans le champ réglementaire, ce qui nous donne une place et une légitimité plus fortes. Jusqu’ici, nous étions définis par assimilation comme des acteurs agissant uniquement par actes médico-délégués.

Le fait de consacrer la consultation infirmière, c’est reconnaître que l’infirmier a une compétence en termes de recueil de données cliniques et qu’il est capable de faire un diagnostic. Il ne s’agit bien sûr pas d’un diagnostic médical, mais d’un diagnostic infirmier. Cela fait des années que le diagnostic infirmier est enseigné dans les IFSI. Ce texte n’est ni plus ni moins qu’une reconnaissance de l’entièreté du champ de compétence des infirmiers. Dans un contexte de mainmise séculaire des médecins sur notre système de santé, cette simple reconnaissance est un événement. Et c’est cela qui en dérange visiblement certains, car il ne s’agit pas de les mettre tous dans le même sac. Ceux qui ont lu le texte et l’ont compris n’y sont pas hostiles.

 

Comment faut-il comprendre ce texte ? En quoi cette loi est-elle utile aux citoyens et en quoi ne menace-t-elle pas les médecins ?

D.G. : Cette loi répond à une double contrainte. Tout d’abord, celle de faire évoluer la profession. Les textes qui nous encadrent datent maintenant de nombreuses années, alors que les sciences et techniques ont fortement évolué, tout comme la formation, le système de santé, etc.

La seconde contrainte est celle de la pénurie médicale. Les problèmes d’accès aux soins sont importants et graves, et l’on sait que cela ne va pas se résoudre rapidement. En attendant, il est urgent de trouver des solutions pour prendre en charge nos concitoyens. La pression autour de la contrainte à l’installation des médecins avec des propositions de loi qui se multiplient dans ce sens l’illustre parfaitement. On ne peut pas laisser au bord du chemin des patients qui, faute d’accès à un médecin, encombrent les services d’urgence ou renoncent aux soins.

L’idée avec cette loi infirmière est de créer plus de portes d’entrée dans le système de soins, ce que les Anglo-Saxons appellent des gatekeepers, en sachant qu’il est hors de question pour nous, je le répète, de remplacer le médecin. La consultation et le diagnostic médical resteront toujours l’apanage du médecin. C’est très clair.

Mais nous pouvons mettre à profit notre expertise métier pour ne pas laisser au bord de la route ces patients qui n’ont pas de solution. Nous pourrons soit les prendre en charge si leur situation relève de nos compétences, soit les orienter dans le système de soins. Il est de toute façon urgent de faire quelque chose, car la conjonction de la baisse du nombre de médecins et de la hausse du nombre de personnes âgées nous mène droit dans le mur.

L’optimisation de l’utilisation des compétences de chaque profession et l’accélération des politiques de prévention sont les seules voies aujourd’hui possibles pour faire en sorte que notre système de santé continue à répondre aux besoins de la population, de façon soutenable financièrement pour la collectivité.

 

« Il est hors de question pour nous, je le répète, de remplacer le médecin. La consultation et le diagnostic médical resteront toujours l’apanage du médecin. C’est très clair. »

 

Vous avez demandé – et obtenu – l’urgence sur ce texte, c’est-à-dire une seule lecture devant chaque chambre (Assemblée nationale et Sénat). Pourquoi ?

D.G. : Les services de l’État ont pris prétexte, pour ne pas ouvrir de négociations entre les infirmiers et la CNAM, du fait que la loi n’est pas encore votée, alors même que celle-ci inscrit de nouvelles prérogatives dans le champ d’activité de la profession. Des prérogatives qui devront faire l’objet de négociations tarifaires. Sauf que le temps presse. Entre les risques de dissolution de l’Assemblée en juillet, les périodes électorales en approche liées aux élections URPS en 2026, puis aux élections présidentielles de 2027 dont la campagne commencera largement dès 2026, l’agenda se tend.

Vous comprenez que nous soyons inquiets et que nous continuions de mettre la pression pour que cela avance et que nous bouclions avant la fin de l’année, négociations avec l’Assurance maladie comprises. La fenêtre de tir se réduit de jour en jour. C’est pourquoi nous ne voulons plus attendre. Nous avons donc demandé à la fois la procédure d’urgence parlementaire sur le texte mais aussi l’entrée en négociation dès maintenant. D’autant plus que nous savons d’ores et déjà que nous ne signerons pas dans le mois suivant l’ouverture des négociations. Cela va prendre du temps.

 

 

> Voir le dossier législatif en ligne sur le site de l’Assemblée nationale

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