Le PLFSS 2026 crée un choc dans la profession dentaire. Pour les Chirurgiens-Dentistes de France, certaines mesures remettent en cause dix ans d’avancées en matière de prévention et d’accès aux soins. Régulation prix-volume, franchises et contraintes budgétaires pourraient entraîner un recul durable de la santé orale en France. Le Dr Pierre-Olivier Donnat, président des CDF, analyse les enjeux et appelle à une réaction rapide des décideurs.
Propos recueillis par Renaud Degas
Vous êtes particulièrement mobilisés cette année sur le PLFSS 2026. Pourquoi ce texte suscite-t-il autant d’inquiétude chez les chirurgiens-dentistes ?
Dr Pierre-Olivier Donnat – Ce qui frappe d’abord, c’est le décalage complet entre l’orientation générale du PLFSS et les politiques de santé menées depuis une décennie. Nous avons travaillé, avec la tutelle et l’Assurance maladie, à améliorer l’accès aux soins, rééquilibrer soins et prothèses, et initier un véritable virage préventif – je pense notamment à la « génération sans carie ». Or, plusieurs dispositions du texte viennent contredire frontalement ces objectifs. On a l’impression que ce PLFSS est écrit par Bercy, pas par le ministère de la Santé.
Par exemple ?
Dr P.-O. D. – Le premier point est budgétaire : l’ONDAM soins de ville est fixé à +0,88 %. Nous savons tous que c’est intenable. Comme l’an dernier, il y aura probablement comité d’alerte, avec de possibles reports d’actes pourtant prévus dans la convention, comme en 2025. Cela suspend la dynamique engagée et fragilise encore davantage les territoires.
Ensuite, il y a la régulation prix-volume. Elle assimile la régulation des soins dentaires à celle de la biologie ou de l’imagerie. C’est un contresens de santé publique : nous sommes une profession de prévention et de soins curatifs. Dire aux praticiens : « Plus vous soignez, moins vous serez rémunérés », c’est condamner les soins préventifs et curatifs précoces. C’est l’inverse exact de ce qu’on leur demande depuis des années.
Certains acteurs invoquent la nécessité de « responsabiliser » les assurés grâce à des franchises. Que répondez-vous ?
Dr P.-O. D. – Là encore, l’effet serait désastreux pour le dentaire. Une franchise à l’acte sur les soins dentaires signifie très concrètement retarder les soins, en particulier pour les patients les moins favorisés, alors que ce sont eux qui présentent le plus de pathologies orales. Or, on sait que tout retard se traduit par des situations plus graves, plus coûteuses, et souvent prothétiques. On annule dix ans d’efforts visant à éviter justement ces parcours thérapeutiques plus lourds.
Sur le terrain, nous entendons souvent des patients se plaindre lorsqu’une franchise, liée à un acte médical par exemple, est retenue sur leurs remboursements. Le phénomène de report des soins va dramatiquement s’accentuer si les nouvelles franchises sont adoptées.
Vous évoquez également une autre mesure, moins visible mais très structurante : la modification de la taxe additionnelle pour les professionnels en PAMC.
Dr P.-O. D. – Oui. Le sujet est technique et assez complexe. Mais, en résumé, cela aboutirait à ce qu’un chirurgien-dentiste conventionné paie davantage de cotisations qu’un non-conventionné. C’est incompréhensible. Cela revient à pénaliser ceux qui jouent le jeu du service public de santé orale. Cette mesure, si elle passait, créerait un signal très négatif et renforcerait les stratégies d’évitement chez les jeunes praticiens.
« Ce PLFSS pour 2026 ne doit pas devenir le texte qui aura fait reculer la santé orale en France. On ne peut pas expliquer aux Français : “Vous aurez une génération sans carie”, puis leur dire : “En réalité, prenez rendez-vous plus tard.” Nous nous mobilisons pour éviter cette rupture, qui coûtera cher à terme au pays et mettra en péril la santé orale de nombreux Français. »
Justement, craignez-vous des évolutions profondes dans les modes d’exercice ?
Dr P.-O. D. – Il n’y aura pas de mouvement massif de déconventionnement, soyons clairs : il n’y a pas de vie professionnelle solide hors convention pour un chirurgien-dentiste.
En revanche, ce que nous voyons déjà, et qui s’amplifierait, c’est le choix d’activités où l’Assurance maladie n’intervient pas – implantologie, esthétique – au détriment de la dentisterie du quotidien.
Cela signifie : moins de prévention, moins de soins courants, moins de présence dans les zones peu denses. Or ces zones sont déjà en tension.
Si le texte était adopté en l’état, quels recours envisagez-vous ?
Dr P.-O. D. – Nous restons profondément attachés à la voie conventionnelle. C’est la clé du dialogue, de l’équilibre et du réalisme sanitaire. Si la loi la contourne, cela pose une question de fond : quelle place laisse-t-on aux corps intermédiaires en santé ?
Si les mesures étaient imposées par ordonnance, oui, il y aurait des voies de contestation, juridiques et politiques. Mais il faut comprendre que le mal serait déjà fait : une confiance rompue se reconstruit difficilement.
Pour conclure, y a-t-il un point positif à retenir de ce texte ?
Dr P.-O. D. – Oui, dans un contexte de baisse de la natalité dans notre pays, il y a une prise de conscience sur la question du congé de naissance. Or, notre profession se féminise rapidement. Garantir les conditions d’exercice des jeunes praticiennes libérales, y compris dans le cadre de leur congé de maternité, c’est garantir le maillage territorial de demain.
Nous demandons simplement une habilitation législative pour négocier là-dessus avec l’Assurance maladie. Ce n’est pas un privilège : c’est une condition de survie de l’offre de soins dans les territoires.
Les cinq propositions des Chirurgiens-Dentistes de France sur le PLFSS 2026
- Supprimer l’extension de la participation forfaitaire et des franchises aux soins dentaires.
- Ne pas inclure les chirurgiens-dentistes dans les mécanismes de régulation.
- Supprimer la taxe additionnelle de 3,25 % applicable aux professionnels de santé affiliés au régime des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés (PAMC).
- Permettre la négociation d’une indemnité maternité équitable pour les chirurgiens-dentistes.
- Adapter le congé de naissance supplémentaire aux professions libérales.
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