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Enjeux & décryptages

L’oeil de la rédaction - 4 novembre 2025

Sébastien Guérard, président de la FFMKR : « Le PLFSS 2026 est non seulement exclusivement budgétaire, mais il est aussi insincère »

Alors que le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2026 arrive dans un contexte politique incertain, la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR) lance un nouvel avertissement. Pour son président, Sébastien Guérard, le texte est non seulement « insincère », mais il risque de fragiliser à nouveau la profession en remettant en cause les revalorisations obtenues lors de la dernière négociation conventionnelle. Il appelle à un changement de regard sur le rôle des kinésithérapeutes dans le système de santé, estimant que leurs compétences restent largement sous-utilisées.

 

Propos recueillis par renaud Degas

 

 

Comment qualifiez-vous le PLFSS 2026 actuellement en discussion ?

Sébastien Guérard : C’est un PLFSS exclusivement budgétaire, que je qualifie d’insincère. L’Ondam Ville fixé à +0,88 % ne couvre même pas l’évolution structurelle du besoin de soins : vieillissement de la population, augmentation du nombre de professionnels, progression de la prise en charge ambulatoire. On nous demande de faire plus avec moins, tout en nous expliquant que ce serait acceptable au nom du contexte économique. Mais il ne s’agit pas ici d’effort temporaire : c’est une contraction durable.

Ce PLFSS manque également de vision. Nous sommes à un moment où l’accès aux soins se dégrade, où la dépendance progresse, où les patients souffrant de troubles musculosquelettiques explosent. On aurait pu attendre des mesures structurantes. Il n’y a rien.

 

Votre principal sujet de préoccupation concerne les revalorisations conventionnelles ?

S.G. : Oui. En 2023, nous avons signé des engagements importants : réorganisation des pratiques, évolution de la nomenclature des actes, régulation de la démographie par des incitations à l’installation dans les zones sous-dotées. En échange, l’Assurance maladie a accepté des revalorisations échelonnées, prévues pour 2025 et 2026.

Mais si le comité d’alerte sur l’Ondam est déclenché en juin prochain, ces revalorisations risquent d’être suspendues, comme en 2024. C’est un scénario que nous ne pouvons pas revivre. D’autant que de notre côté, nous avons déjà tenu notre part du contrat.

 

Vous demandez donc d’avancer le calendrier ?

S.G. : Exactement. Nous travaillons pour que ces revalorisations soient appliquées au 31 mars 2026, soit avant la réunion du comité d’alerte. Cela représente 17 millions d’euros, ce qui est extrêmement faible comparé à l’enjeu : la crédibilité de la parole de l’État et la stabilité conventionnelle.

Mais pour que cet amendement soit recevable, il doit être porté par le gouvernement lui-même — députés et sénateurs ne peuvent pas créer de dépenses nouvelles. Nous sommes dans un moment où la volonté politique sera déterminante.

 

Pourquoi cette revalorisation est-elle essentielle aujourd’hui ?

S.G. : Parce qu’en réalité, depuis 2013, il n’y a pas eu de revalorisation significative. Dans le même temps, la profession a accompagné les politiques publiques : virage du domicile, prise en charge de pathologies plus lourdes, désengorgement des centres de rééducation. Nous avons investi dans des plateaux techniques, nous avons structuré nos cabinets, nous avons augmenté notre niveau de formation.

Pourtant, le revenu moyen des kinésithérapeutes a baissé : près de 20 % de perte de pouvoir d’achat en 15 ans.

 

Quel est aujourd’hui le revenu d’un kinésithérapeute libéral ?

S.G. : Le bénéfice annuel moyen, après charges et cotisations, est de 43 500 euros par an. Cela correspond à 46 heures de soins hebdomadaires, auxquelles il faut ajouter l’administratif quotidien. Nous parlons donc d’une profession très sollicitée, dont le revenu ne reflète pas la montée en compétence, ni la charge physique, ni l’engagement territorial.

Et si nous obtenons toutes les revalorisations prévues, nous parlons d’un gain global d’environ 1 euro par séance. C’est dire si ce combat n’est pas déraisonnable, mais vital.

 

Vous insistez sur le rôle de la profession dans la prévention. Pourquoi ?

S.G. : Parce que nous voyons, chaque jour, les personnes qui devraient être suivies en prévention. Nous sommes les professionnels de première ligne des troubles musculosquelettiques, de l’obésité, du déconditionnement lié à l’âge, de la perte d’autonomie. Nous réalisons un million d’actes par jour. Il n’y a pas de dispositif de santé publique avec une telle capillarité.

Pourtant, nous ne sommes pas intégrés dans les bilans de prévention, dans les politiques de maintien de l’autonomie, dans le déploiement de l’activité physique adaptée. C’est une perte de chance pour les patients.

 

 

« Notre cadre conventionnel et réglementaire date d’il y a 30 ans. Il ne correspond plus ni à la réalité des besoins, ni à l’évolution de notre métier. Aujourd’hui, l’enjeu est simple : sécuriser les revalorisations, reconnaître les compétences de la profession et réinventer le modèle économique pour garantir l’accès à la kinésithérapie pour tous. Le système ne peut plus se permettre de faire l’économie de la kinésithérapie. »

 

 

Vous avez porté une proposition de loi sur ce sujet. Que contient-elle ?

S.G. : Elle vise à reconnaître clairement les compétences des kinésithérapeutes dans le dépistage et le repérage de la fragilité, la prévention du vieillissement, l’activité physique adaptée, la coordination en EHPAD et l’accès direct pour certains motifs.

Ce n’est pas une révolution. Il s’agit simplement d’aligner le cadre sur la réalité des pratiques et des besoins.

 

Vous dites que le modèle conventionnel arrive en fin de cycle. Pourquoi ?

S.G. : Parce qu’il repose sur une logique purement prix-volume. Plus il y a de kinés, plus les tarifs sont comprimés. C’est mathématique. Or, notre démographie augmente : environ 6 000 nouveaux kinés diplômés par an, France et UE confondues. On se retrouve plus nombreux à se partager un gâteau qui ne bouge pas alors que les besoins de la population, eux, explosent.

Face à cela, les kinés sont face à deux solutions aussi dangereuses à long terme l’une que l’autre pour notre système de santé : développer des soins hors nomenclature (bien-être, esthétique) ; ou pratiquer des dépassements d’honoraires non encadrés, particulièrement dans les grandes villes où le coût de la vie est très élevé.

Ces dérives sont le symptôme d’un modèle qui ne fonctionne plus. Et elles créent des inégalités d’accès aux soins.

 

Que propose la FFMKR ?

S.G. : Nous demandons la possibilité d’un complément d’honoraire encadré, avec trois garde-fous : interdit pour les patients en ALD, C2S ou vulnérables ; limité à une part plafonnée de l’activité ; évalué et régulé dans le cadre conventionnel. L’objectif est double : préserver l’accès aux soins et assurer la viabilité économique des cabinets. Le statu quo, lui, conduira à un système à deux vitesses — ce que nous refusons.

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