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L’oeil de la rédaction - 11 septembre 2025

Jean-Luc Plavis, patient expert : une vie sous le sceau de l’engagement

Engagé de longue date dans le monde associatif, Jean-Luc Plavis milite pour une reconnaissance du rôle encore flou en France de patient expert. À travers son parcours de vie marqué par la maladie de Crohn, il défend une vision exigeante du patient expert, fondée sur la rigueur, la formation et la coopération avec les soignants. Entre espoirs, dérives et revendications, témoignage d’un homme pour qui vivre avec une maladie ne signifie pas s’y résumer. Un portrait de Camille Grelle (Agence PI+) pour la Veille.

 

En France, le terme de patient expert n’a pas de définition juridique, mais la Haute Autorité de santé (HAS) donne celle-ci qui semble faire consensus : « Le patient-expert désigne celui qui, atteint d’une maladie chronique, a développé au fil du temps une connaissance fine de sa maladie et dispose ainsi d’une réelle expertise dans le vécu quotidien d’une pathologie ou d’une limitation physique liée à son état ».

 

L’histoire d’un combattant

Jean-Luc Plavis, lui, souffre d’une forme sévère et résistante de la maladie de Crohn depuis 37 ans. Après une première crise à l’âge de 18 ans, la maladie revient en force 3 ans plus tard, l’obligeant à quitter son métier de cuisinier dans un palace de Londres et à rentrer en France. « Entre les hospitalisations et les pertes de poids, j’étais en incapacité d’exercer. C’est très violent, surtout à un si jeune âge et quand on exerce un métier passion qui est une vocation », se souvient Jean-Luc Plavis.

S’enchaînent quatre longues années d’errance diagnostique : « comme on m’avait diagnostiqué par erreur une rectocolite hémorragique, on essayait de trouver un traitement mais cela ne pouvait pas fonctionner… Et puis on n’avait pas, à l’époque, le recul et les connaissances d’aujourd’hui. »

Pour autant, pas question de se tourner les pouces pour cet actif de nature. Il suit donc une formation à distance en RH et une formation en comptabilité, un peu sous la contrainte : « Je n’aime pas les chiffres et n’en ai jamais fait mon métier mais cela a eu le mérite de m’occuper et de me mobiliser intellectuellement. Parallèlement, mon état de santé n’était toujours pas stabilisé. En raison du diagnostic erroné, j’ai été opéré, ce qui était censé faire tout rentrer dans l’ordre. Il n’en a rien été. Et je n’avais toujours pas d’activité professionnelle définie… » Une rencontre le mène par hasard au métier de détective privé qu’il exerce pendant un an avant que les signes de la maladie, peu compatibles avec les filatures et surveillances, ne l’obligent à arrêter.

 

L’engagement associatif chevillé au corps

Le hasard – encore lui – met sur sa route le directeur d’une association d’aide aux malades du VIH. Il rejoint la structure d’une quinzaine de salariés et met à son service ses compétences en comptabilité et en ressources humaines. Nommé directeur juridique et administratif, il remet l’association d’équerre sur ces plans et participe à son développement, notamment via son restaurant associatif… jusqu’à ce que la maladie ne reprenne le dessus, l’obligeant à quitter son emploi et à revenir à Paris auprès de ses proches.

Opéré du rectum et de l’anus, on lui pose alors une stomie définitive, « une étape qui peut être difficile pour certains, mais pas pour moi, explique Jean-Luc Plavis. J’étais prêt, j’en avais assez des effets de la maladie et ce passage à la poche devait me permettre de vivre un peu plus normalement. »

Il devient alors bénévole au sein de l’association AFA Crohn – RCH où il crée un service d’aide aux malades dans le domaine juridique et administratif et découvre l’existence des patients experts. « C’est par ce biais que je suis devenu salarié du CISS (collectif interassociatif sur la santé) d’Île-de-France, puis à France Assos Santé Île-de-France entre autres. J’ai commencé à travailler sur les droits des malades et les représentants des usagers avec des associations de patients agréées mais aussi avec les institutions comme l’ARS et les fédérations hospitalières, raconte Jean-Luc Plavis. Parallèlement, un événement personnel m’a conduit à m’intéresser aux questions de la fin de vie et des soins palliatifs ainsi qu’aux troubles psychotraumatiques. »

Ce qui le mène à cofonder ALTER, une fédération « qui œuvre sur le lien entre traumatismes et résiliences » et « s’adresse à toute personne – professionnel de santé, usager, proche, association – confrontée à un psychotraumatisme au sens large du terme. » L’idée étant de réunir tous les savoirs et d’avoir une vision pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire pour s’adresser au plus grand nombre : violences subies, troubles du comportement alimentaire, troubles de l’humeur, addictions, endométriose, cancers…

 

Une maladie ne fait pas une personne

« Quand j’ai cofondé ALTER avec le Pr Florence Askenazy et Françoise Rudetzki, je leur ai confié que l’on faisait souvent l’amalgame entre ma maladie et moi. On me collait une étiquette de “malade de Crohn”, se remémore Jean-Luc Plavis. Mais ma maladie n’est pas ce que je suis et l’on ne saurait résumer un patient à sa pathologie. Certes, cela impacte ma vie tous les jours mais j’en ai fait une valeur ajoutée, notamment en devenant patient expert. »

En tant que tel, il refuse d’ailleurs de travailler avec des personnes qui ont la même pathologie car il veut « aller plus loin ». « Quand on a une expertise, on peut la mettre au service de toute personne malade, explique-t-il. Un patient expert ne l’est pas dans une seule pathologie puisque sa raison d’être est d’accompagner d’autres patients dans toute leur dimension » en complément de la prise en charge des professionnels de santé. Et de rappeler que, « lorsque l’on est patient expert, il faut prendre de la distance par rapport à sa propre histoire, quitter le “moi” pour aller vers l’écoute et l’empathie vis-à-vis de l’autre. Mais certains peuvent parfois avoir le travers d’une prise de pouvoir sur l’autre… »

 

Gare aux dérives

C’est l’une des dérives possibles que pointe Jean-Luc Plavis, notamment dans le domaine psychiatrique : « traditionnellement, on y parle d’ailleurs plus de pair-aidant que de patient expert. Or, accompagner un malade quand on est soi-même malade n’est pas évident et la pair-aidance comme le patient expert pose une vraie question sur le profil des personnes, d’autant que n’importe qui peut s’autoproclamer patient expert ou pair-aidant dès lors qu’il est malade. »

Si bien que l’on retrouve des patients qui n’ont pas trouvé leur place dans une association agréée, « très souvent à juste titre car ils sont souvent proches de mouvances type “coaching” ou “thérapeutes” nébuleuses. Il y a là une vraie question de dérive, d’ailleurs soulevée par les travaux de la Miviludes sur le sujet des malades qui créent une activité professionnelle en lien avec leur maladie mais avec de vrais dangers derrière ». Car c’est une réalité, les patients représentent un vrai business…

« Les professionnels de santé eux-mêmes constatent ces dérives notamment sur les réseaux sociaux. Or, ils ne sont pas là pour dénoncer des patients voire des professionnels de santé qui posent problème. En tant que patient expert, il m’arrive également d’être sollicité pour le faire mais ce n’est pas mon rôle ! »

Pour Jean-Luc Plavis, le principal problème vient du flou autour de la définition des patients experts. Si le terme est connu, voire reconnu, les associations ont parfois leur propre vocable : patient ressource, patient accompagnant (notamment dans le cancer), patient intervenant (formé à l’ETP) ou encore patient partenaire, un modèle qui vient du Canada mais qui interpelle car il est ouvert à tous les malades, y compris ceux qui ne font pas partie d’une association agréée. « Cela se développe dans les hôpitaux où ils aident par exemple à travailler sur de la documentation, illustre Jean-Luc Plavis. Sur le principe, l’idée peut être bonne mais ces patients dépendent des professionnels de santé de l’établissement sans contact avec le milieu associatif. Il y a donc un certain lien de subordination car il n’est pas évident de dire non à un professeur de médecine… »

 

Des patients experts formés et encadrés

« L’expérience du vivre avec la maladie et l’expertise qui en découle doivent venir compléter le savoir scientifique et la prise en charge clinique des professionnels de santé, poursuit Jean-Luc Plavis. Le patient expert n’est pas médecin ou soignant mais néanmoins un acteur à part entière du prendre soin : il doit faciliter l’alliance thérapeutique et agir en soutien de tous les acteurs de la prise en charge. Et ça, cela doit être reconnu comme un travail à part entière. »

Ce qui pose la question, essentielle, de la formation des patients experts. Non seulement toutes ne se valent pas mais il est essentiel, selon notre spécialiste, d’être supervisé et de travailler en équipe au sein de structures reconnues : « Un patient expert qui œuvre seul peut présenter un danger et on ne peut pas mettre une personne fragile au contact d’autres patients, tant pour la protéger que pour protéger les autres. Il faut être rattaché à une association agréée. Cela atteste la qualité de l’accompagnement et de la formation. Être malade ne suffit pas à être légitime en tant qu’expert car chacun a sa propre expérience et vit la maladie différemment selon son contexte familial, social, spirituel, etc. Le cadre des associations agréées – fondé sur un guide ministériel avec une grille permettant de s’assurer que la personne est apte à devenir patient expert – garantit un recrutement, une formation et un suivi. À quoi s’ajoute le fait que les patients qui appartiennent à une association agréée sont soumis au secret professionnel. »

 

Avec les soignants, la collaboration, pas l’opposition

Jean-Luc Plavis plaide pour une coopération encore plus étroite entre associations de patients et professionnels de santé : « Dans mon parcours de vie, j’ai connu nombre d’hospitalisations et d’interventions et, comme de nombreux patients, la maltraitance ordinaire et les difficultés de parcours de soins et de santé qui vont avec. Pour autant, je m’inscris dans la culture de l’erreur, pas de la faute. Mon travail au CISS IDF et à France Assos Santé IDF m’a amené à défendre cette position vis-à-vis du monde associatif. Il faut sortir du jugement, ne pas dupliquer son propre parcours ni se mettre en position d’opposition avec le monde médical. »

Construire un système qui a du sens, un cadre encore plus formalisé et en coopération avec tous les acteurs du soin, tel est donc l’objectif. « Aujourd’hui, on n’y est pas, tant sur le plan juridique qu’éthique ou de la formation, constate Jean-Luc Plavis. Il faut aller vers quelque chose de plus large que la seule maladie. Bien sûr, il y a déjà les patients experts mais il manque encore un maillon à savoir des acteurs du rétablissement qui ne sont pas attachés à une pathologie mais englobent à la fois les traumas de la vie et les nombreuses pathologies et troubles associés, et travaillent en coordination avec les équipes de professionnels de santé, en ville et à l’hôpital. »

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