On ne protège bien que ce que l’on comprend. Et force est de constater que nous comprenons encore trop peu ce qu’est vraiment l’eau. Ressource que l’on croit inépuisable, disponible à volonté, maîtrisée depuis toujours. Pourtant, l’eau est en train de devenir le premier facteur de tension de ce siècle, autant que le climat.
Par Olivier Toma – expert RSE et santé environnementale
Les signes sont là. Les pénuries ponctuelles se multiplient. En France, plus de 200 communes ont été ravitaillées en camions-citernes à l’été 2023. Des territoires autrefois épargnés par la sécheresse vivent désormais sous restriction. Le coût de traitement de l’eau explose, notamment à cause de la pollution diffuse (nitrates, pesticides, perturbateurs endocriniens), mais aussi de polluants émergents encore mal pris en compte (médicaments, microplastiques). L’accès à une eau propre, salubre et disponible, n’est plus une évidence.
Mais au-delà des constats visibles, c’est une autre réalité plus silencieuse qu’il nous faut regarder en face : celle de l’eau cachée. Celle que nous consommons sans le savoir, contenue dans chaque objet, chaque service, chaque médicament, chaque kilowatt d’énergie, chaque aliment que nous utilisons ou consommons.
Oui, des études récentes alertent : la France pourrait manquer d’eau dès 2040
Les travaux récents s’accordent sur un constat clair : la France est confrontée à un risque croissant de pénuries d’eau dans les deux prochaines décennies, en particulier durant les périodes estivales.
Ce risque est lié à trois facteurs principaux :
- Le changement climatique, qui accentue les sécheresses, accélère l’évaporation et réduit les capacités de recharge des nappes.
- La pression démographique et l’urbanisation, qui concentrent les besoins en eau dans des zones déjà fragiles.
- La vétusté de nos infrastructures, avec des réseaux qui fuient et des stations de traitement dépassées.
Des études comme celles de l’INRAE, de l’ONERC, ou encore les projections européennes compilées dans les travaux du JRC (Joint Research Centre de la Commission européenne), confirment que certaines régions françaises seront sous tension hydrique forte d’ici 2040 à 2050, notamment en Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Nouvelle-Aquitaine et Pays de la Loire. L’OFB évoque même une « transition vers un stress hydrique structurel » pour plusieurs bassins versants.
Des solutions existent, mais des freins subsistent
Des solutions existent : réutilisation des eaux usées traitées, modernisation des réseaux, désalinisation couplée aux énergies renouvelables, recharge contrôlée des nappes, économie d’eau dans l’agriculture… Mais leur mise en œuvre reste lente, freinée par des coûts élevés, un manque de coordination et une absence de priorisation nationale claire.
Nous avons construit une économie linéaire sur l’idée d’abondance. Une agriculture, une industrie, une médecine, un numérique… tous dépendants d’un accès permanent à de grandes quantités d’eau. Mais cette eau devient rare. Elle ne respecte ni nos calendriers, ni nos budgets, ni nos croyances de toute-puissance.
Il est urgent de remettre l’eau au cœur de nos stratégies publiques, industrielles et sanitaires, au même titre que le carbone. L’eau n’est pas un « dommage collatéral » de notre développement. C’est la condition de toute vie.
Son cycle, pourtant simple, est aujourd’hui profondément perturbé : infiltration plus faible, évaporation accrue, artificialisation des sols, sécheresses prolongées, nappes non reconstituées, pollution omniprésente. Dans les décennies qui viennent, les conflits pour l’eau pourraient devenir l’équivalent de ce qu’étaient les conflits pour le pétrole. Des guerres sont déjà en cours dans le monde à cause de l’eau. D’autres pourraient survenir si nous restons passifs.
Ce n’est pas être alarmiste. C’est être lucide.
La France a les moyens d’agir. Elle dispose d’un réseau d’experts, de solutions technologiques, de dispositifs de financement, et d’une culture de service public forte. Mais pour cela, il faut un changement de regard. Faire de l’eau un indicateur stratégique de durabilité, tout comme le CO₂.
C’est pourquoi nous avons développé un outil : l’Empreinte Hydrique. Pour mesurer, comprendre, réduire, recycler.
C’est aussi pourquoi nous lançons cette série d’articles, chaque vendredi de septembre, pour éclairer les enjeux et tracer les voies possibles.
Car il n’y a pas d’économie sans eau. Pas de santé sans eau. Pas de paix sans eau.
L’eau est plus qu’un droit. Elle est notre responsabilité collective.